jeudi 12 novembre 2020

Hommage

Mon premier hommage au général de Gaulle s’est passé dans une niche à chien. Dans ma famille de pieds-noirs d’Algérie, de Gaulle n’était pas très bien vu. On lui reprochait, comment dire?, la façon dont il avait géré la relation franco-algérienne. Ma grand-mère l’appelait « ce chameau de de Gaulle ». Lorsqu’il apparaissait à la télévision, un adulte se levait et éteignait « le poste » (la télécommande était un objet de science-fiction à l’époque). Le jour où le général, dans sa DS noire, avait fait une halte dans notre patelin, ma maman avait refusé d’accompagner les enfants de l’école maternelle à la cérémonie. Je suis descendu avec les autres maîtresses et les autres gamins faire fête au grand homme. Je devais être haut comme 3 pommes, je n’ai rigoureusement rien vu. Maman, elle, était restée à l’école, avec beaucoup de dignité. Bref, CDG n’était pas en odeur de sainteté à la maison et, en tant qu’enfant éveillé pour son âge, je savais qu’il faisait partie des noms à ne pas prononcer. Un jour, il est mort, la télévision en a parlé et aussi le journal que l’on recevait à la maison. C’était l’Aurore, journal conservateur, dans lequel Pierre Desproges avait une colonne humoristique. J’avais 10 ans, et quand on a 10 ans on a envie d’être un héros. J’ai donc collecté pendant 2 ou 3 jours les numéros de l’Aurore qui parlaient du décès du grand homme, en douce, pour éviter les ennuis. Tout le monde se fichait que je lise les articles sur de Gaulle dans le journal, mais je ne le savais pas. Et je suis allé me cacher dans la niche du chien, un endroit humide, obscur et pestilentiel sous un escalier extérieur, muni de mes journaux. Et là, par un lugubre jour de novembre sarthois, à la lumière tremblotante d’une bougie, j’ai pieusement lu les faits et gestes du Grand Homme tels que l’Aurore les relatait. Planqué dans ma niche avec ma bougie, j’étais un résistant, et cela m’a fort exalté. Aujourd’hui, on honore la mémoire du libérateur autour duquel la Nation reconnaissante se blottit avec affection. Il m’a semblé important livrer ce témoignage d’un contemporain du Général. Pour servir l’Histoire.
L’image contient peut-être : 1 personne, debout, costume et intérieur
Catherine Roblin, Laurent Gerard Ferron et 10 autres personnes
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je reconnais ta verve et ta malice. Maman.