dimanche 17 novembre 2013

Le dernier des injustes

Claude Lanzmann a interviewé en 1975 Benjamin Murmelstein, le dernier des doyens des conseils juifs des ghettos créés par les nazis encore en vie. Il en a tiré des heures d'interviews, dont il a fait un film (3h38, tout de même). Même si Claude Lanzmann se défend à longueur d'interviews ces jours-ci d'avoir réalisé des entretiens complaisants, le résultat est tout de même un plaidoyer pro domo de la part d'un personnage, volubile, intelligent et souvent drôle, mais qui, pour avoir survécu à de telles circonstances, a forcément d'énormes parts d'ombre. Ce film pose la question infernale du « Qu'aurais-je fait dans les mêmes
circonstances?». Question sans réponse tant les décisions prises à un instant donné dépendent de trop de raisons, bonnes ou mauvaises, conscientes ou pas, avouables ou pas, du niveau d'information que l'on a de toutes les composantes de la situation et de mille autres choses encore. Donc, bonne question pour susciter la réflexion mais à laquelle il n'y a pas de bonne réponse. De fait, ce qui m'a le plus intéressé dans ce documentaire ce sont les moments où Murmelstein remet les pendules à l'heure comme lorsqu'il dit que les habitants des ghettos étaient des martyrs mais pas des saints (rien de choquant en soit, la nature humaine est ce qu'elle est, mais qui oserait dire cela aujourd'hui?). Ou lorsqu'il insiste à plusieurs reprises sur l'ignorance dans laquelle étaient, jusqu'aux dernières semaines de la guerre, les protagonistes, en dehors des responsables nazis, de l'existence de camps d'extermination et de l'ensemble du système de la solution finale qui nous semble une telle évidence. Le recours à l'anachronisme étant la ficelle la plus facile pour susciter l'émotion, lire l'Histoire et formater les idées, on peut se réjouir qu'un tel documentaire soit projeté dans tant de salles de cinéma.